La Forge
May 2002

13 millions de grévistes,
3,5 millions de manifestants

Treize millions de personnes ont répondu à l'appel à la grève des syndicats et partis politiques de gauche le 16 avril dernier.

Depuis des semaines, la réaction fourbissait ses armes. Antonio Martino, le ministre de la défense, avait déclaré voir dans la manifestation syndicale précédente du 23 mars, "un péril énorme pour les libres institutions de notre démocratie, le syndicat outrepassant son rôle jusqu'à menacer l'ordre constitutionnel, en empêchant l'exécutif légitimement élu de gouverner le pays... Tôt ou tard, il va nous falloir rétablir la légalité constitutionnelle". Après l'assassinat le 19 mars dernier de l'économiste Marco Biagi, conseiller en matière sociale du gouvernement, Umberto Bossi leader fascisant de la Ligue du nord avait surenchéri: "Je ne crois pas que les terroristes puissent être étrangers, mais, au contraire, qu'ils sont les fils d'une contestation syndicale exaspérée qui a raconté un tas de mensonges dans les usines, dans les journaux et la télévision."

Berlusconi avait minimisé l'appel à la grève générale du 16 avril, niant tout "droit de veto" aux syndicats et se réclamant de l'Europe et des consignes du récent sommet européen de Barcelone, pour défendre le bien-fondé de sa politique. Il avait auparavant convoqué tous les leaders de sa coalition afin de ressouder les rangs de sa majorité. Le thème de l'immigration étant comme toujours de bon usage pour cela, Berlusconi a également assuré au congrès de l'Alliance nationale, à propos des immigrés en situation irrégulière, que "20 % des délits commis en Italie le sont par eux, qui sont une proie facile pour les organisations criminelles". Les clandestins sont la cible de la loi Bossi-Fini, présentée au Parlement (voir encadré).

C'est en réponse à cette offensive réactionnaire que 3,5 millions de personnes se sont retrouvées dans la rue : tous ensemble, travailleurs italiens et étrangers, avec les associations anti-mondialisation et étudiantes, sans oublier les retraités, ont manifesté ce 16 avril, contre la mise en œuvre par le gouvernement Berlusconi de ce même programme que le gouvernement précédent, de centre-gauche, tentait d'imposer petit à petit. Cette politique, la voici :

1. Flexibilisation et précarisation des rapports de travail au bénéfice du patronat, élimination de l'article 18 du code du travail, ce qui "libéraliserait" les licenciements (légalisation des licenciements sans motifs de la part du patron), sans oublier, bien sûr, la liquidation des primes de licenciements

2. Attaque contre les pensions et retraites, démantèlement des conquêtes en matière d'assistance sanitaire, sociale et scolaire (privatisation des écoles, hôpitaux et structures sociales, c'est-à-dire la création de structures scolaires et sanitaires de première classe pour les riches, et de seconde classe pour les autres, ainsi que le financement par l'État des écoles cléricales).

3. Attaque en règle contre les fonctionnaires, privatisation et précarisation des rapports de travail, arrêt des promotions, non-renouvellement des contrats de travail, etc.

4. Attaque contre les libertés politiques des travailleurs et des masses populaires : de nouvelles lois spéciales en matière de "lutte contre le terrorisme", "d'ordre public", de "justice", qui libèrent de toute entrave juridique les forces de polices, les services secrets, ainsi que les diverses bandes légales et illégales (souvenons-nous des "journées de Gênes"), et introduisent le permis de tuer, de commettre des agressions et des provocations sous la couverture de la loi (Réforme Frattini des services secrets, donnant aux espions italiens des pouvoirs sans précédents, dans l'intérêt supérieur de la Sécurité nationale, bien entendu) ; de nouvelles lois racistes contre les immigrés pour mieux permettre leur exploitation par le patronat (voir encadré), la persécution et la criminalisation des travailleurs et des masses populaires immigrés (utilisation de l'armée)…

5. Participation active à la défense des intérêts des monopoles italiens et étrangers, à la politique d'agression de l'impérialisme contre les masses populaires des colonies. Le gouvernement Berlusconi, en violant la Constitution, met ainsi l'armée italienne au service des impérialistes US, au sein de la "coalition" contre le terrorisme.

La liste n'est pas close, et chacun parmi les travailleurs et les masses populaires italiennes ou immigrées, a trouvé assez de motifs pour descendre dans la rue ce 16 avril et suivre le mot d'ordre de grève nationale.

La nouvelle législation ségrégationniste

Le terme "ségrégationniste" rend bien l'esprit de la loi Bossi-Fini, fondée sur un apartheid juridique et destinée à produire des effets de terreur qui pousseront les immigrés à la clandestinité.

La nouvelle loi, promulguée par le Conseil des ministres le 12 octobre dernier, va bientôt être discutée au parlement et au sénat.

Le pays court le risque d'une nette rupture non seulement des garanties constitutionnelles mais de la société civile et du pouvoir contractuel sur le terrain des droits sociaux et du travail.

La loi implique la subordination du droit de la libre circulation des personnes aux exigences du marché. Elle introduit le dénommé "contrat de séjour entre l'employeur et le salarié" ce qui signifie ceci : le droit de résider en Italie n'existe pas s'il n'est pas lié à un rapport de travail.

Le décret de loi Bossi-Fini donne ainsi un pouvoir énorme aux employeurs qui ont, dans leurs mains, le destin de travailleurs immigrés qui sont, dès lors, à leur merci. S'ils sont licenciés et s'ils ne trouvent pas un nouveau travail dans les six mois qui suivent, même s'ils sont en Italie depuis plusieurs années, ils perdent leur permis de séjour.

La durée du permis de travail à durée déterminée est d'un an. Après deux ans de travail saisonnier, les immigrés ont la possibilité d'obtenir un permis triennal pour travail saisonnier (le visa sera délivré chaque année).

La nouvelle loi considère le délit d'immigration clandestine comme un délit pénal. L'immigré qui est arrêté une première fois sans permis de séjour est expulsé, avec raccompagnement immédiat à la frontière. Si l'immigré revient avant l'échéance de l'interdiction, il est arrêté et puni par une réclusion de 6 mois à un an et l'expulsion immédiate à la fin de la peine. S'il récidive dans la violation de l'interdiction, la loi prévoit une réclusion d'1 à 4 ans, avec mise aux arrêts immédiate.

L'aspect le plus grave de cette nouvelle loi concerne la question des réfugiés politiques, les demandeurs de droit d'asile en Italie. Les personnes qui fuient leur pays parce qu'ils y risquent la mort ou la prison se retrouvent à leur arrivée en Italie dans un Centre de détention.

Cette loi masque la volonté réelle du gouvernement qui est de limiter fortement le droit d'asile.

Pour terminer, cette loi met en péril toutes les expérimentations positives mises en acte ces dernières années par de nombreux organes locaux et par les associations de bénévoles et les remplace par ces Centres de détention (mêmes pour les demandeurs d'asile) au détriment des services d'accueil et d'intégration sociale.

Source : Observatoire sur l'état de la démocratie en Italie (http://www.osdem.it/fr)

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